Deux jeunes bergers d’Anatolie au travail
Vingt et un juin ! C’est le premier jour de l’été, la fête de la musique et le 1° anniversaire de Vador !
Hasard du calendrier j’ai choisi cette date pour rendre visite à 2 jeunes et valeureux bergers d’Anatolie : Vador, 1 an donc et Végas, 8 mois et demi.
Claude, berger de profession, m’a réservé 2 chiots, de portées différentes. Il m’a fait confiance pour le choix. Je les ai sélectionnés en fonction de leur caractère indépendant et hardi.
L’éducation qu’ils ont reçue a été différente de celle que je donne habituellement. Le chien de protection travaille instinctivement, indépendamment de l’homme ; il ne doit pas recevoir trop d’ordres qui le lieraient à l'humain ; il ne doit pas être caressé, son attachement doit se faire aux moutons.
Je les ai isolés de leur fratrie vers l’âge de 4/5 semaines, pour de très courtes périodes d’abord, plus longues ensuite. Ils ont partagé quelque temps le parc d’un mâle adulte puis ils ont intégré un petit enclos dans lequel ils sont restés seuls. Je les ai peu cajolés.
Vador qui était sociable en a souffert, moi aussi. Il m’appelait sans cesse, il me fallait lui résister. Végas était déjà très autonome.
Vador a quitté l’élevage en septembre à l’âge de 3 mois, Végas en décembre âgé de 9 semaines.
Le voyage est long ; j’ai hâte de revoir mes « bébés ». Néanmoins j’ai décidé de prendre les routes de montagne et je ne le regrette pas.
Je traverse la Chartreuse, le Vercors, les Alpes du Sud, pour atteindre le Mercantour, la Vallée des Merveilles et la Maglia. Hasard ou grâce, je passe près des demoiselles coiffées qui me rappellent la Cappadoce, région historique et pittoresque de Turquie.
Je suis dans un rêve, tout éveillée ; les paysages sont à couper le souffle ; à chaque tour de roues ils diffèrent : versants herbeux, arborés ou rocailleux. Je traverse des gorges profondes, étranglées, qui m’enserrent de leurs parois couleur lie de vin. J’ai l’impression d’avoir pénétré le ventre de la terre, je suis éblouie.
J’atteins Breil où Claude et Nathalie, sa compagne, m’attendent.
Claude vit sur la frontière du Mercantour et de la Maglia.
Nous prenons ensemble, en 4x4, le chemin qui mène à la bergerie. Treize kilomètres de piste tellement
étroite qu’il faut manœuvrer sans cesse pour passer. Nous montons à 1200 mètres d’altitude.
Pas un coup de voix, les 4 chiens ont identifié la voiture (2 jeunes mâles Berger d’Anatolie, une Border Collie, un mâle croisé Beauceron, 2 chiens de protection, 2 chiens de conduite).
Végas me fait la fête. Claude est étonné qu’il m’ait reconnue. Vador ne tarde pas à venir et j’en suis quitte pour une autre séance de débarbouillage.
Maintenant que ma toilette est faite je peux regarder ce qui m’entoure : la montagne de tous les côtés, des sous-bois et des pâturages, quelques maisons dispersées.
Claude a 37 brebis laitières, d’un caractère plus souple que les brebis à viande ; elles ont l’habitude d’être maniées matin et soir pour la traite.
Le troupeau dispersé pâture, 4 heures par jour, l’herbe d’une prairie clôturée. Claude l’emmène aussi parcourir les sous-bois sur quelque 100 hectares de son domaine. Le reste de la journée le troupeau est dans un enclos près de la bergerie.
Ce mode de vie ancestral rend philosophe dit Claude, la technologie (téléphone portable, électricité) en
rompt l’isolement.
Monique : Pourquoi avez-vous choisi le berger d’Anatolie ?
Claude : En juillet 2004 mon troupeau a subi une attaque de loups, mortelle pour 3 brebis. J’ai alors signé un accord avec la Direction Départementale de l’Agriculture qui m’oblige à protéger mon troupeau, soit par des filets, soit par des chiens. C’est la condition sine qua non pour être indemnisé en cas de dommages !
Je n’avais jamais eu de chien de protection. Traditionnellement en France, les bergers travaillent avec des montagnes des Pyrénées appelés aussi patous ; je désirais me démarquer et aussi trouver le chien le plus adapté à ma personnalité indépendante. Je me suis beaucoup documenté. Il ressortait de ce que j’ai pu lire ou entendre que le Berger d’Anatolie est très équilibré, excellent gardien mais sans agressivité inutile. C’est cet équilibre et ce discernement qui m’ont séduit.
Monique : Combien de chiens de protection vous semble-t-il nécessaire pour protéger votre troupeau ?
Claude : J’ai un petit cheptel, néanmoins 2 chiens me paraissent utiles sur un terrain aussi accidenté et boisé.
Quatre meutes de loups vivraient sur cette région, soit une vingtaine ; en réalité, on ne peut le savoir avec précision. L’Italie est à quelques encablures et les loups se déplacent beaucoup et vite, ils peuvent faire jusqu’à 100 kilomètres en une journée. Mes brebis ont été tellement stressées quand elles ont été attaquées en juillet dernier que soit, elles sont restées vides soit, elles ont eu des agneaux mort-nés. Les dégâts sont bien plus lourds que ce que les médias annoncent : 3 brebis égorgées dans le Mercantour !
Monique : Comment avez-vous introduit Vador puis Végas dans votre troupeau ?
Claude : Je n’avais aucune expérience, je ne savais pas comment intégrer les chiens dans mon troupeau.
J’ai installé Vador tout de suite avec les brebis. Il était l’intrus et n’a pas été accueilli à « pattes ouvertes », des moutons l’ont chargé. J’ai alors procédé par étapes. Je l’ai acclimaté avec les agnelles puis avec les brebis les plus jeunes, les plus douces et j’ai pu l’intégrer au troupeau.
Avec Végas cela a été beaucoup plus simple, Vador a facilité les choses, les moutons s’étaient habitué à la présence d’un chien à leur côté.
Monique : Comment cela s’est-il passé avec vos autres chiens ?
Claude : Il n’y a eu aucune difficulté, Vador était chiot, il s’est fondu dans la meute. Il vivait en parfaites harmonie et complémentarité avec les autres chiens, néanmoins il a reconnu en Végas un chien de sa race. Son comportement n’a jamais été le même avec Végas qu’avec les autres chiens, il recherchait sa compagnie et l’a initié immédiatement en l’obligeant à rester avec les moutons.
Très vite les 2 anatoliens se sont partagé le travail : Vador patrouille sur son territoire alors que Végas reste avec le troupeau. Vador travaille la nuit, Végas le jour. En revanche c’est toujours Végas qui alerte, le jour comme la nuit. Végas prévient, Vador agit.
En conclusion, ils ont compris leur travail spontanément au contact des moutons.
Monique : Avez-vous eu des attaques de loups récemment ?
Claude : Les loups ont agressé 3 fois ces dernières semaines. J’étais hospitalisé lors de la 1° attaque. Bastien, mon remplaçant, ne connaissait pas les habitudes de mes chiens, il n’a pas vu l’anormalité de la situation.
Cette nuit-là, Vador et Végas se sont relayé pour aboyer ; Vador faisait le tour de son territoire puis allait à l’orée des bois et revenait. Végas se maintenait au milieu des moutons et aboyait. Ces agissements ont duré toute la nuit. Bastien a appris le lendemain matin qu’il y avait eu une attaque de loups.
Dans les faits, Vador repoussait les loups et Végas protégeait le troupeau.
Mon voisin a pâti de l’attaque.
Ses 3 chiens de protection sont partis à la poursuite d’un (ou plusieurs) loup laissant le troupeau à la merci des prédateurs. On connaît les ruses des loups : l’un d’eux s’approche des bêtes pour attirer les chiens pendant que la meute attaque les troupeaux restés seuls.
Mon voisin a été très étonné de la méthode de travail de mes bergers d'Anatolie. Je lui ai dit ma certitude que jamais ils ne laisseraient les moutons sans protection.
Les 2 attaques suivantes m’ont donné raison, Vador et Végas ont procédé avec la même stratégie.
On a tort de penser que les loups n’attaquent que la nuit. Aujourd’hui, le temps orageux est propice aux agressions. La brume ou l’orage masque les odeurs, les loups peuvent s’approcher plus près sans se faire remarquer.
Monique : Quelle est l’attitude de vos chiens quand ils rencontrent d’autres chiens ou troupeaux ?
Claude : Pour emmener paître son troupeau, un de mes voisins passait régulièrement près de chez moi. Il a continué un certain temps puis Vador a grandi et l’a impressionné, maintenant il passe peu plus loin. En revanche un contentieux régnait entre un de ses 5 chiens et Tilt, ma Border Collie. Dernièrement le chien est revenu agressé Tilt. Vador s’est interposé et a soumis tous les chiens sans leur faire trop de mal, 2 traces de crocs sur un des adversaires.
Monique : Des randonneurs passent-ils à proximité de vos bêtes ?
Claude : Je vis sur une zone de pâturages et de tourisme de surcroît. D’éloquents panneaux signalétiques avertissent de la présence de chiens; les promeneurs se doivent d’être vigilants.
Vador ne laisse approcher personne. Si je suis là, il reste 2 mètres derrière moi et attend le départ des visiteurs ; rares sont les personnes qui se hasardent en mon absence. Ma plus proche voisine est venue me rendre visite quand je n’étais pas là. Vador, le poil tout hérissé et les babines relevées, l’a reçue à distance. Pas rassurée, elle a fait demi-tour ; Vador l’a raccompagnée à son domicile ; il restait quelques mètres derrière elle. Il est resté vigilant jusqu’au bout.
Monique : La Direction Départementale de l’Agriculture a-t-elle été informée des dernières attaques. Que pense-t-elle du travail de Vador et Végas ?
Claude : Les personnes de la DDA qui sont venues m’ont dit que j’avais 2 perles tant par leur physique que par le travail effectué. La DDA s’intéresse beaucoup à la race Berger d’Anatolie.
Monique : Quelles sont les conséquences d’une attaque de loups ?
Claude : Je vous ai dit tout à l’heure que mes brebis ont été tellement stressées que soit, elles sont restées vides soit, elles ont eu des agneaux mort-nés. Je n’ai donc pas pu accroître mon troupeau ! Qui imaginerait que les dégâts se ressentent aussi longtemps après ?
Je suis plus rassuré actuellement ; avec seulement 9 mois de recul, j’ai déjà pleine confiance en mes 2 bergers d’Anatolie.
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